Nous autres, civiÂliÂsaÂtions, nous savons mainÂteÂnant que nous sommes morÂtelles. Nous avions entenÂdu parÂler de mondes disÂpaÂrus tout entiers, dâempires couÂlĂ©s Ă pic avec tous leurs hommes et tous leurs engins ; desÂcenÂdus au fond inexÂploÂrable des siĂšcles avec leurs dieux et leurs lois, leurs acaÂdĂ©Âmies et leurs sciences pures et appliÂquĂ©es, avec leurs gramÂmaires, leurs dicÂtionÂnaires, leurs clasÂsiques, leurs romanÂtiques et leurs symÂboÂlistes, leurs criÂtiques et les criÂtiques de leurs criÂtiques. Nous savions bien que toute la terre appaÂrente est faite de cendres, que la cendre signiÂfie quelque chose. Nous aperÂceÂvions Ă traÂvers lâĂ©paisseur de lâhistoire, les fanÂtĂŽmes dâimmenses navires qui furent charÂgĂ©s de richesse et dâesprit. »Paul ValĂ©Âry La crise de lâesprit, Ă©diÂtions NRF, 1919
Dela contre-utopie, Vous autres, civilisations, savez maintenant que vous ĂȘtes mortelles, Eric Essono Tsimi, Didier Alexandre, Classiques Garnier. Des milliers de livres avec la livraison chez vous en 1 jour ou en magasin avec -5% de rĂ©duction .These two letters were first published in English in the London weekly AthenĂŠus, nr. 4641, April 11, 1919 and nr. 4644, May 2, 1919. Texte reproduit d'aprĂšs Paul VALĂRY, Ćuvres I, Ă©dition Ă©tablie et annotĂ©e par Jean Hytier, Paris, Gallimard 1957, collection "La PlĂ©iade", pp. 988-1014. - Blog Paul ValĂ©ry VARIĂTĂ ESSAIS QUASI POLITIQUES LA CRISE DE L'ESPRIT PREMIĂRE LETTRE Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d'empires coulĂ©s Ă pic avec tous leurs hommes et tous leurs engins; descendus au fond inexplorable des siĂšcles avec leurs dieux et leurs lois, leurs acadĂ©mies et leurs sciences pures et appliquĂ©es, avec leurs grammaires, leurs dictionnaires, leurs classiques, leurs romantiques et leurs symbolistes, leurs critiques et les critiques de leurs critiques. Nous savions bien que toute la terre apparente est faite de cendres, que la cendre signifie quelque chose. Nous apercevions Ă travers l'Ă©paisseur de l'histoire, les fantĂŽmes d'immenses navires qui furent chargĂ©s de richesse et d'esprit. Nous ne pouvions pas les compter. Mais ces naufrages, aprĂšs tout, n'Ă©taient pas notre affaire. Ălam, Ninive, Babylone Ă©taient de beaux noms vagues, et la ruine totale de ces mondes avait aussi peu de signification pour nous que leur existence mĂȘme. Mais France, Angleterre, Russie... ce seraient aussi de beaux noms. Lusitania aussi est un beau nom. Et nous voyons maintenant que l'abĂźme de l'histoire est assez grand pour tout le monde. Nous sentons qu'une civilisation a la mĂȘme fragilitĂ© qu'une vie. Les circonstances qui enverraient les ouvres de Keats et celles de Baudelaire rejoindre les Ćuvres de MĂ©nandre ne sont plus du tout inconcevables elles sont dans les journaux. Cf. Cicero, I have spared no pains to make myself master of the Greek language and learning Schiller, A glorious humanity Hugo, In a grand parliament of intelligence Emerson, When the Gods come among men - Disclosing in every fact a germ of expansion Ortega y Gassett, The birth of the city Aeschylus, Nobody's slaves Plato, Tyranny and slavery Gennadius Scholarius, Words are the fathers of all Good Pope Benedict XVI, The Papal Science Learned Freeware Enable Desktop Gadgets on Windows 10 or 11 Search ALL Desktop Gadget Font viewers, to browse, test, install and uninstall your fonts Daily Reading Gadget Greek Clock desktop gadget More Amazon Search Gadget Bible Reader Old Standard and Didot Unicode Greek Polytonic Fonts Menologion Inspirational Desktop Gadget More Un soir oĂč la mer pĂ©nĂštre Dans les pays de montagne Un soir oĂč on est plus jeune que sa jeunesse, Un soir oĂč lâon a beaucoup souffert mais oĂč plus rien Plus rien nâest vain, plus rien nâest pour la cendre.; Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, dâempires coulĂ©s Ă pic La longue, lâinĂ©puisable durĂ©e des civilisations Un texte classique de Fernand Braudel Fernand Braudel⊠Ce texte est extrait de lâarticle de Fernand Braudel Histoire des Civilisations le passĂ© explique le prĂ©sent » publiĂ© en 1959 dans LâencyclopĂ©die française et repris en 1997 dans Les Ambitions de lâHistoire Paris, Ăditions de Fallois, 1997. Ce que lâhistorien des civilisations peut affirmer, mieux quâaucun autre, câest que les civilisations sont des rĂ©alitĂ©s de trĂšs longue durĂ©e. Elles ne sont pas mortelles , Ă lâĂ©chelle de notre vie individuelle surtout, malgrĂ© la phrase trop cĂ©lĂšbre de Paul ValĂ©ry. Je veux dire que les accidents mortels, sâils existent et ils existent, bien entendu, et peuvent disloquer leurs constellations fondamentales les frappent infiniment moins souvent quâon ne le pense. Dans bien des cas, il ne sâagit que de mises en sommeil. Dâordinaire, ne sont pĂ©rissables que leurs fleurs les plus exquises, leurs rĂ©ussites les plus rares, mais les racines profondes subsistent au-delĂ de bien des ruptures, de bien des hivers. RĂ©alitĂ©s de longue, dâinĂ©puisable durĂ©e, les civilisations, sans fin rĂ©adaptĂ©es Ă leur destin, dĂ©passent donc en longĂ©vitĂ© toutes les autres rĂ©alitĂ©s collectives; elles leur survivent. De mĂȘme que, dans lâespace, elles transgressent les limites des sociĂ©tĂ©s prĂ©cises qui baignent ainsi dans un monde rĂ©guliĂšrement plus vaste quâelles-mĂȘmes et en reçoivent, sans toujours en ĂȘtre conscientes, une impulsion, des impulsions particuliĂšres, de mĂȘme sâaffirme dans le temps, Ă leur bĂ©nĂ©fice, un dĂ©passement que Toynbee a bien notĂ© et qui leur transmet dâĂ©tranges hĂ©ritages, incomprĂ©hensibles pour qui se contente dâobserver, de connaĂźtre le prĂ©sent » au sens le plus Ă©troit. Autrement dit, les civilisations survivent aux bouleversements politiques, sociaux, Ă©conomiques, mĂȘme idĂ©ologiques que, dâailleurs, elles commandent insidieusement, puissamment parfois. La RĂ©volution française nâest pas une coupure totale dans le destin de la civilisation française, ni la RĂ©volution de 1917 dans celui de la civilisation russe, que certains intitulent, pour lâĂ©largir encore, la civilisation orthodoxe orientale. Je ne crois pas davantage, pour les civilisations sâentend, Ă des ruptures ou Ă des catastrophes sociales qui seraient irrĂ©mĂ©diables. Donc, ne disons pas trop vite, ou trop catĂ©goriquement, comme Charles Seignobos le soutenait un jour 1938 dans une discussion amicale avec lâauteur de ces lignes, quâil nây a pas de civilisation française sans une bourgeoisie, ce que Jean Cocteau traduit Ă sa façon La bourgeoisie est la plus grande souche de France⊠Il y a une maison, une lampe, une soupe, du feu, du vin, des pipes, derriĂšre toute oeuvre importante de chez nous. » Et cependant, comme les autres, la civilisation française peut, Ă la rigueur, changer de support social, ou sâen crĂ©er un nouveau. En perdant telle bourgeoisie, elle peut mĂȘme en voir pousser une autre. Tout au plus changerait-elle, Ă cette Ă©preuve, de couleur par rapport Ă elle-mĂȘme, mais elle conserverait presque toutes ses nuances ou originalitĂ©s par rapport Ă dâautres civilisations; elle persisterait, en somme, dans la plupart de ses vertus » et de ses erreurs ». Du moins, je lâimagine⊠Aussi bien, pour qui prĂ©tend Ă lâintelligence du monde actuel, Ă plus forte raison pour qui prĂ©tend y insĂ©rer une action, câest une tĂąche payante » que de savoir discerner, sur la carte du monde, les civilisations aujourdâhui en place, en fixer les limites, en dĂ©terminer les centres et pĂ©riphĂ©ries, les provinces et lâair quâon y respire, les formes » particuliĂšres et gĂ©nĂ©rales qui y vivent et sây associent. Sinon, que de dĂ©sastres ou de bĂ©vues en perspective! Dans cinquante, dans cent ans, voire dans deux ou trois siĂšcles, ces civilisations seront encore, selon toute vraisemblance, Ă peu prĂšs Ă la mĂȘme place sur la carte du monde, que les hasards de lâHistoire les aient, ou non, favorisĂ©es, toutes choses Ă©gales dâailleurs, comme dit la sagesse des Ă©conomistes, et sauf Ă©videmment si lâhumanitĂ©, entre-temps, ne sâest pas suicidĂ©e, comme malheureusement elle en a, dĂšs aujourdâhui, les moyens. Ainsi notre premier geste est de croire Ă lâhĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ©, Ă la diversitĂ© des civilisations du monde, Ă la permanence, Ă la survie de leurs personnages, ce qui revient Ă placer au premier rang de lâactuel cette Ă©tude de rĂ©flexes acquis, dâattitudes sans grande souplesse, dâhabitudes fermes, de goĂ»ts profonds quâexplique seule une histoire lente, ancienne, peu consciente tels ces antĂ©cĂ©dents que la psychanalyse place au plus profond des comportements de lâadulte. Il faudrait quâon nous y intĂ©resse dĂšs lâĂ©cole, mais chaque peuple prend trop de plaisir Ă se considĂ©rer dans son propre miroir, Ă lâexclusion des autres. En vĂ©ritĂ©, cette connaissance prĂ©cieuse reste assez peu commune. Elle obligerait Ă considĂ©rer en dehors de la propagande, valable seulement, et encore, Ă court terme tous les graves problĂšmes des relations culturelles, cette nĂ©cessitĂ© de trouver, de civilisation Ă civilisation, des langages acceptables qui respectent et favorisent des positions diffĂ©rentes, peu rĂ©ductibles les unes aux autres. Et pourtant, tous les observateurs, tous les voyageurs, enthousiastes ou maussades, nous disent lâuniformisation grandissante du monde. DĂ©pĂȘchons-nous de voyager avant que la terre nâait partout le mĂȘme visage! En apparence, il nây a rien Ă rĂ©pondre Ă ces arguments. Hier, le monde abondait en pittoresque, en nuances; aujourdâhui toutes les villes, tous les peuples se ressemblent dâune certaine maniĂšre Rio de Janeiro est envahi depuis plus de vingt ans par les gratte-ciel; Moscou fait penser Ă Chicago; partout des avions, des camions, des autos, des voies ferrĂ©es, des usines; les costumes locaux disparaissent, les uns aprĂšs les autres⊠Cependant, nâest-ce pas commettre, au-delĂ dâĂ©videntes constatations, une sĂ©rie dâerreurs assez graves? Le monde dâhier avait dĂ©jĂ ses uniformitĂ©s; la technique et câest elle dont on voit partout le visage et la marque nâest assurĂ©ment quâun Ă©lĂ©ment de la vie des hommes, et surtout, ne risquons-nous pas, une fois de plus, de confondre la et les civilisations ? La terre ne cesse de se rĂ©trĂ©cir et, plus que jamais, voilĂ les hommes sous un mĂȘme toit » Toynbee, obligĂ©s de vivre ensemble, les uns sur les autres. A ces rapprochements, ils doivent de partager des biens, des outils, peut-ĂȘtre mĂȘme certains prĂ©jugĂ©s communs. Le progrĂšs technique a multipliĂ© les moyens au service des hommes. Partout la civilisation offre ses services, ses stocks, ses marchandises diverses. Elle les offre sans toujours les donner. Si nous avions sous les yeux une carte des rĂ©partitions des grosses usines, des hauts fourneaux, des centrales Ă©lectriques, demain des usines atomiques, ou encore une carte de la consommation dans le monde des produits modernes essentiels, nous nâaurions pas de peine Ă constater que ces richesses et que ces outils sont trĂšs inĂ©galement rĂ©partis entre les diffĂ©rentes rĂ©gions de la terre. Il y a, ici, les pays industrialisĂ©s, et lĂ , les sous-dĂ©veloppĂ©s qui essaient de changer leur sort avec plus ou moins dâefficacitĂ©. La civilisation ne se distribue pas Ă©galement. Elle a rĂ©pandu des possibilitĂ©s, des promesses, elle suscite des convoitises, des ambitions. En vĂ©ritĂ©, une course sâest instaurĂ©e, elle aura ses vainqueurs, ses Ă©lĂšves moyens, ses perdants. En ouvrant lâĂ©ventail des possibilitĂ©s humaines, le progrĂšs a ainsi Ă©largi la gamme des diffĂ©rences. Tout le peloton se regrouperait si le progrĂšs faisait halte ce nâest pas lâimpression quâil donne. Seules, en fait, les civilisations et les Ă©conomies compĂ©titives sont dans la course. Bref, sâil y a, effectivement, une inflation de la civilisation, il serait puĂ©ril de la voir, au-delĂ de son triomphe, Ă©liminant les civilisations diverses, ces vrais personnages, toujours en place et douĂ©s de longue vie. Ce sont eux qui, Ă propos de progrĂšs, engagent la course, portent sur leurs Ă©paules lâeffort Ă accomplir, lui donnent, ou ne lui donnent pas un sens. Aucune civilisation ne dit non Ă lâensemble de ces biens nouveaux, mais chacune lui donne une signification particuliĂšre. Les gratte-ciel de Moscou ne sont pas les buildings de Chicago. Les fourneaux de fortune et les hauts fourneaux de la Chine populaire ne sont pas, malgrĂ© des ressemblances, les hauts fourneaux de notre Lorraine ou ceux du BrĂ©sil de Minas Gerais ou de Volta Redonda. Il y a le contexte humain, social, politique, voire mystique. Lâoutil, câest beaucoup, mais lâouvrier, câest beaucoup aussi, et lâouvrage, et le coeur que lâon y met, ou que lâon nây met pas. Il faudrait ĂȘtre aveugle pour ne pas sentir le poids de cette transformation massive du monde, mais ce nâest pas une transformation omniprĂ©sente et, lĂ oĂč elle sâaccomplit, câest sous des formes, avec une ampleur et une rĂ©sonance humaine rarement semblables. Autant dire que la technique nâest pas tout, ce quâun vieux pays comme la France sait, trop bien sans doute. Le triomphe de la civilisation au singulier, ce nâest pas le dĂ©sastre des pluriels. Pluriels et singulier dialoguent, sâajoutent et aussi se distinguent, parfois Ă lâoeil nu, presque sans quâil soit besoin dâĂȘtre attentif. Sur les routes interminables et vides du Sud algĂ©rien, entre Laghouat et GhardaĂŻa, jâai gardĂ© le souvenir de ce chauffeur arabe qui, aux heures prescrites, bloquant son autocar, abandonnait ses passagers Ă leurs pensĂ©es et accomplissait, Ă quelques mĂštres dâeux, ses priĂšres rituelles⊠Ces images, et dâautres, ne valent pas comme une dĂ©monstration. Mais la vie est volontiers contradictoire le monde est violemment poussĂ© vers lâunitĂ©; en mĂȘme temps, il reste fondamentalement divisĂ©. Ainsi en Ă©tait-il hier dĂ©jĂ unitĂ© et hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© cohabitaient vaille que vaille. Pour renverser le problĂšme un instant, signalons cette unitĂ© de jadis que tant dâobservateurs nient aussi catĂ©goriquement quâils affirment lâunitĂ© dâaujourdâhui. Ils pensent quâhier le monde Ă©tait divisĂ© contre lui-mĂȘme par lâimmensitĂ© et la difficultĂ© des distances montagnes, dĂ©serts, Ă©tendues ocĂ©aniques, Ă©charpes forestiĂšres constituaient autant de barriĂšres rĂ©elles. Dans cet univers cloisonnĂ©, la civilisation Ă©tait forcĂ©ment diversitĂ©. Sans doute. Mais lâhistorien qui se retourne vers ces Ăąges rĂ©volus, sâil Ă©tend ses regards au monde entier, nâen perçoit pas moins des ressemblances Ă©tonnantes, des rythmes trĂšs analogues Ă des milliers de lieues de distance. La Chine des Ming, si cruellement ouverte aux guerres dâAsie, est plus proche de la France des Valois, assurĂ©ment, que la Chine de Mao TsĂ©toung ne lâest de la France de la Ve RĂ©publique. Nâoublions pas dâailleurs que mĂȘme Ă cette Ă©poque, les techniques voyagent. Les exemples seraient innombrables. Mais lĂ nâest pas le grand ouvrier de lâuniformitĂ©. Lâhomme, en vĂ©ritĂ©, reste toujours prisonnier dâune limite, dont il ne sâĂ©vade guĂšre. Cette limite, variable dans le temps, elle est sensiblement la mĂȘme, dâun bout Ă lâautre de la terre, et câest elle qui marque de son sceau uniforme toutes les expĂ©riences humaines, quelle que soit lâĂ©poque considĂ©rĂ©e. Au Moyen Age, au XVIe siĂšcle encore, la mĂ©diocritĂ© des techniques, des outils, des machines, la raretĂ© des animaux domestiques ramĂšnent toute activitĂ© Ă lâhomme lui-mĂȘme, Ă ses forces, Ă son travail; or, lâhomme, lui aussi, partout, est rare, fragile, de vie chĂ©tive et courte. Toutes les activitĂ©s, toutes les civilisations sâĂ©ploient ainsi dans un domaine Ă©troit de possibilitĂ©s. Ces contraintes enveloppent toute aventure, la restreignent Ă lâavance, lui donnent, en profondeur, un air de parentĂ© Ă travers espace et temps, car le temps fut lent Ă dĂ©placer ces bornes. Justement, la rĂ©volution, le bouleversement essentiel du temps prĂ©sent, câest lâĂ©clatement de ces enveloppes » anciennes, de ces contraintes multiples. A ce bouleversement, rien nâĂ©chappe. Câest la nouvelle civilisation, et elle met Ă lâĂ©preuve toutes les civilisations. Mais entendons-nous sur cette expression le temps prĂ©sent. Ne le jugeons pas, ce prĂ©sent, Ă lâĂ©chelle de nos vies individuelles, comme ces tranches journaliĂšres, si minces, insignifiantes, translucides, que reprĂ©sentent nos existences personnelles. A lâĂ©chelle des civilisations et mĂȘme de toutes les constructions collectives, câest dâautres mesures quâil faut se servir, pour les comprendre ou les saisir. Le prĂ©sent de la civilisation dâaujourdâhui est cette Ă©norme masse de temps dont lâaube se marquerait avec le XVIIIe siĂšcle et dont la nuit nâest pas encore proche. Vers 1750, le monde, avec ses multiples civilisations, sâest engagĂ© dans une sĂ©rie de bouleversements, de catastrophes en chaĂźne elles ne sont pas lâapanage de la seule civilisation occidentale. Nous y sommes encore, aujourdâhui. Cette rĂ©volution, ces troubles rĂ©pĂ©tĂ©s, repris, ce nâest pas seulement la rĂ©volution industrielle, câest aussi une rĂ©volution scientifique mais qui ne touche quâaux sciences objectives, dâoĂč un monde boiteux tant que les sciences de lâhomme nâauront pas trouvĂ© leur vrai chemin dâefficacitĂ©, une rĂ©volution biologique enfin, aux causes multiples, mais au rĂ©sultat Ă©vident, toujours le mĂȘme une inondation humaine comme la planĂšte nâen a jamais vue. BientĂŽt trois milliards dâhumains ils Ă©taient Ă peine 300 millions en 1400. Si lâon ose parler de mouvement de lâHistoire, ce sera, ou jamais, Ă propos de ces marĂ©es conjuguĂ©es, omniprĂ©sentes. La puissance matĂ©rielle de lâhomme soulĂšve le monde, soulĂšve lâhomme, lâarrache Ă lui- mĂȘme, le pousse vers une vie inĂ©dite. Un historien habituĂ© Ă une Ă©poque relativement proche le XVIe siĂšcle par exemple a le sentiment, dĂšs le XVIIIe, dâaborder une planĂšte nouvelle. Justement, les voyages aĂ©riens de lâactualitĂ© nous ont habituĂ©s Ă lâidĂ©e fausse de limites infranchissables que lâon franchit un beau jour la limite de la vitesse du son, la limite dâun magnĂ©tisme terrestre qui envelopperait la Terre Ă 8 000 km de distance. De telles limites, peuplĂ©es de monstres, coupĂšrent hier, Ă la fin du XVe siĂšcle, lâespace Ă conquĂ©rir de lâAtlantique⊠Or, tout se passe comme si lâhumanitĂ©, sans sâen rendre compte toujours, avait franchi du XVIIIe siĂšcle Ă nos jours une de ces zones difficiles, une de ces barriĂšres qui dâailleurs se dressent encore devant elle, dans telle ou telle partie du monde. Ceylan vient seulement de connaĂźtre, avec les merveilles de la mĂ©decine, la rĂ©volution biologique qui bouleverse le monde, en somme la prolongation miraculeuse de la vie. Mais la chute du taux de natalitĂ©, qui accompagne gĂ©nĂ©ralement cette rĂ©volution, nâa pas encore touchĂ© lâĂźle, oĂč ce taux reste trĂšs haut, naturel, Ă son maximum⊠Ce phĂ©nomĂšne se retrouve dans maints pays, telle lâAlgĂ©rie. Aujourdâhui seulement, la Chine connaĂźt sa vĂ©ritable entrĂ©e, massive, dans la vie industrielle. La France sây enfonce Ă corps perdu. Est-il besoin de dire que ce temps nouveau rompt avec les vieux cycles et les traditionnelles habitudes de lâhomme? Si je mâĂ©lĂšve si fortement contre les idĂ©es de Spengler ou de Toynbee, câest quâelles ramĂšnent obstinĂ©ment lâhumanitĂ© Ă ses heures anciennes, pĂ©rimĂ©es, au dĂ©jĂ vu. Pour accepter que les civilisations dâaujourdâhui rĂ©pĂštent le cycle de celle des Incas, ou de telle autre, il faut avoir admis, au prĂ©alable, que ni la technique, ni lâĂ©conomie, ni la dĂ©mographie nâont grand-chose Ă voir avec les civilisations. En fait, lâhomme change dâallure. La civilisation, les civilisations, toutes nos activitĂ©s, les matĂ©rielles, les spirituelles, les intellectuelles, en sont affectĂ©es. Qui peut prĂ©voir ce que seront demain le travail de lâhomme et son Ă©trange compagnon, le loisir de lâhomme? Ce que sera sa religion, prise entre la tradition, lâidĂ©ologie, la raison ? Qui peut prĂ©voir ce que deviendront, au-delĂ des formules actuelles, les explications de la science objective de demain, ou le visage que prendront les sciences humaines, dans lâenfance encore, aujourdâhui ? Dans le large prĂ©sent encore en devenir, une Ă©norme diffusion » est donc Ă lâoeuvre. Elle ne brouille pas seulement le jeu ancien et calme des civilisations les unes par rapport aux autres; elle brouille le jeu de chacune par rapport Ă elle-mĂȘme. Cette diffusion, nous lâappelons encore, dans notre orgueil dâOccidentaux, le rayonnement de notre civilisation sur le reste du monde. A peine peut-on excepter de ce rayonnement, Ă dire dâexpert, les indigĂšnes du centre de la Nouvelle-GuinĂ©e, ou ceux de lâEst himalayen. Mais cette diffusion en chaĂźne, si lâOccident en a Ă©tĂ© lâanimateur, lui Ă©chappe dĂ©sormais, de toute Ă©vidence. Ces rĂ©volutions existent maintenant en dehors de nous. Elles sont la vague qui grossit dĂ©mesurĂ©ment la civilisation de base du monde. Le temps prĂ©sent, câest avant tout cette inflation de la civilisation et, semble-t-il, la revanche, dont le terme ne sâaperçoit pas, du singulier sur le pluriel. Semble-t-il. Car je lâai dĂ©jĂ dit cette nouvelle contrainte ou cette nouvelle libĂ©ration, en tout cas cette nouvelle source de conflits et cette nĂ©cessitĂ© dâadaptations, si elles frappent le monde tout entier, y provoquent des mouvements trĂšs divers. On imagine sans peine les bouleversements que la brusque irruption de la technique et de toutes les accĂ©lĂ©rations quâelle entraĂźne peut faire naĂźtre dans le jeu interne de chaque civilisation, Ă lâintĂ©rieur de ses propres limites, matĂ©rielles ou spirituelles. Mais ce jeu nâest pas clair, il varie avec chaque civilisation, et chacune, vis-Ă -vis de lui, sans le vouloir, du fait de rĂ©alitĂ©s trĂšs anciennes et rĂ©sistantes parce quâelles sont sa structure mĂȘme, chacune se trouve placĂ©e dans une position particuliĂšre. Câest du conflit ou de lâaccord entre attitudes anciennes et nĂ©cessitĂ©s nouvelles, que chaque peuple fait journellement son destin, son actualitĂ© ». Quelles civilisations apprivoiseront, domestiqueront, humaniseront la machine et aussi ces techniques sociales dont parlait Karl Mannheim dans le pronostic lucide et sage, un peu triste, quâil risquait en 1943, ces techniques sociales que nĂ©cessite et provoque le gouvernement des masses mais qui, dangereusement, augmentent le pouvoir de lâhomme sur lâhomme? Ces techniques seront-elles au service de minoritĂ©s, de technocrates, ou au service de tous et donc de la libertĂ©? Une lutte fĂ©roce, aveugle, est engagĂ©e sous divers noms, selon divers fronts, entre les civilisations et la civilisation. Il sâagit de dompter, de canaliser celle-ci, de lui imposer un humanisme neuf. Dans cette lutte dâune ampleur nouvelle il ne sâagit plus de remplacer dâun coup de pouce une aristocratie par une bourgeoisie, ou une bourgeoisie ancienne par une presque neuve, ou bien des peuples insupportables par un Empire sage et morose, ou bien une religion qui se dĂ©fendra toujours par une idĂ©ologie universelle , dans cette lutte sans prĂ©cĂ©dent, bien des structures culturelles peuvent craquer, et toutes Ă la fois. Le trouble a gagnĂ© les grandes profondeurs et toutes les civilisations, les trĂšs vieilles ou plutĂŽt les trĂšs glorieuses, avec pignon sur les grandes avenues de lâHistoire, les plus modestes Ă©galement. De ce point de vue, le spectacle actuel le plus excitant pour lâesprit est sans doute celui des cultures en transit » de lâimmense Afrique noire, entre le nouvel ocĂ©an Atlantique, le vieil ocĂ©an Indien, le trĂšs vieux Sahara et, vers le Sud, les masses primitives de la forĂȘt Ă©quatoriale. Cette Afrique noire a sans doute, pour tout ramener une fois de plus Ă la diffusion, ratĂ© ses rapports anciens avec lâĂgypte et avec la MĂ©diterranĂ©e. Vers lâocĂ©an Indien se dressent de hautes montagnes. Quant Ă lâAtlantique, il a Ă©tĂ© longtemps vide et il a fallu, aprĂšs le XVe siĂšcle, que lâimmense Afrique basculĂąt vers lui pour accueillir ses dons et ses mĂ©faits. Mais aujourdâhui, il y a quelque chose de changĂ© dans lâAfrique noire câest, tout Ă la fois, lâintrusion des machines, la mise en place dâenseignements, la poussĂ©e de vraies villes, une moisson dâefforts passĂ©s et prĂ©sents, une occidentalisation qui a fait largement brĂšche, bien quâelle nâait certes pas pĂ©nĂ©trĂ© jusquâaux moelles les ethnographes amoureux de lâAfrique noire, comme Marcel Griaule, le savent bien. Mais lâAfrique noire est devenue consciente dâelle-mĂȘme, de sa conduite, de ses possibilitĂ©s. Dans quelles conditions ce passage sâopĂšre-t-il, au prix de quelles souffrances, avec quelles joies aussi, vous le sauriez en vous y rendant. Au fait, si jâavais Ă chercher une meilleure comprĂ©hension de ces difficiles Ă©volutions culturelles, au lieu de prendre comme champ de bataille les derniers jours de Byzance, je partirais vers lâAfrique noire. Avec enthousiasme. E n vĂ©ritĂ©, aurions-nous aujourdâhui besoin dâun nouveau, dâun troisiĂšme mot, en dehors de culture et de civilisation dont, les uns ou les autres, nous ne voulons plus faire une Ă©chelle des valeurs? En ce milieu du XXe siĂšcle, nous avons insidieusement besoin, comme le XVIIIe siĂšcle Ă sa mi-course, dâun mot nouveau pour conjurer pĂ©rils et catastrophes possibles, dire nos espoirs tenaces. Georges Friedmann, et il nâest pas le seul, nous propose celui dâhumanisme moderne. Lâhomme, la civilisation, doivent surmonter la sommation de la machine, mĂȘme de la machinerie lâautomation qui risque de condamner lâhomme aux loisirs forcĂ©s. Un humanisme, câest une façon dâespĂ©rer, de vouloir que les hommes soient fraternels les uns Ă lâĂ©gard des autres et que les civilisations, chacune pour son compte, et toutes ensemble, se sauvent et nous sauvent. Câest accepter, câest souhaiter que les portes du prĂ©sent sâouvrent largement sur lâavenir, au-delĂ des faillites, des dĂ©clins, des catastrophes que prĂ©disent dâĂ©tranges prophĂštes les prophĂštes relĂšvent tous de la littĂ©rature noire. Le prĂ©sent ne saurait ĂȘtre cette ligne dâarrĂȘt que tous les siĂšcles, lourds dâĂ©ternelles tragĂ©dies, voient devant eux comme un obstacle, mais que lâespĂ©rance des hommes ne cesse, depuis quâil y a des hommes, de franchir. © Le Temps stratĂ©gique, No 82, GenĂšve, juillet-aoĂ»t 1998 ADDENDA Sur Braudel Son premier mĂ©rite, câest quâil a vraiment compris quâau vingtiĂšme siĂšcle, il fallait faire une histoire au-delĂ de lâhexagone, au-delĂ des problĂšmes français, quâil fallait absolument percevoir les problĂšmes europĂ©ens et, pour reprendre une expression qui nâexistait pas encore quand il a Ă©crit La MĂ©diterranĂ©e, les problĂšmes du tiers monde, et mĂȘme avoir une vision planĂ©taire. Sa vision mondiale de lâHistoire Je crois que son grand mĂ©rite a Ă©tĂ© de comprendre quâil y avait une Ă©volution irrĂ©pressible, que personne ne pouvait contenir, pour sortir de cette espĂšce dâeuropĂ©o-centrisme qui avait fonctionnĂ© Ă plein au XIXe siĂšcle et Ă lâĂ©poque coloniale, et encore pendant la premiĂšre moitiĂ© du XXe siĂšcle, et quâil fallait dĂ©sormais avoir vraiment une vision mondiale de lâhistoire. Son histoire Ă plusieurs temps Son second mĂ©rite ⊠a Ă©tĂ© de mettre en relation les Ă©vĂ©nements historiques et les Ă©vĂ©nements Ă plus longue durĂ©e, disons les Ă©vĂ©nements anthropologiques, et ainsi de concevoir quâil y a plusieurs temps dans lâhistoire. Il y a un temps court, celui des Ă©vĂ©nements; cela ne correspond dâailleurs pas du tout Ă sa pensĂ©e de dire quâil a rejetĂ© lâĂ©vĂ©nement, mais il a toujours considĂ©rĂ© quâil fallait ĂȘtre capable dâaller plus loin que les Ă©vĂ©nements, de comprendre ce qui les provoquait, mĂȘme quand il sâagissait dâĂ©vĂ©nements aussi dramatiques que la RĂ©volution française par exemple. Et puis il y a ce quâil a appelĂ© la longue durĂ©e et cela a Ă©tĂ© une idĂ©e trĂšs importante ⊠Sa mise en scĂšne du social Dâune façon plus gĂ©nĂ©rale, il a introduit non seulement lâhistoire sociale mais le rĂŽle des sociĂ©tĂ©s dans lâhistoire Ă©conomique. On avait tendance Ă compartimenter les choses, avec, disons, une histoire des Ă©vĂ©nements, des gouvernements et des chancelleries; une histoire plus sociale et une histoire Ă©conomique, celle-ci tendant Ă ĂȘtre en quelque sorte autonome par rapport aux autres, mĂȘme si on essayait dâen tirer des enseignements pour les deux autres. Je crois que Braudel a beaucoup veillĂ© Ă introduire les changements sociaux, les modifications des sociĂ©tĂ©s, dans lâhistoire Ă©conomique. » Pierre Daix, in Regards », Paris, No 7, novembre 1995, Ă propos du livre quâil venait dâĂ©crire Braudel Paris, Flammarion, 1995. Ibn Khaldoun, prĂ©curseur mĂ©diĂ©val de lâhistoire des civilisations Ibn Khaldoun 1331-1406, historien maghrĂ©bin, a Ă©tĂ© lâun des premiers thĂ©oriciens de lâhistoire des civilisations. Arnold Toynbee dit de lui quâil a conçu et formulĂ© une philosophie de lâHistoire qui est sans doute le plus grand travail qui ait jamais Ă©tĂ© créé par aucun esprit dans aucun temps et dans aucun pays. » VĂ©rifier les faits investiguer les causes » Dans la Muqadimma, introduction en trois volumes de son Kitab al-Ibar Histoire des Arabes, des Persans et des BerbĂšres, Ibn Khaldoun Ă©crit Jâai suivi un plan original pour Ă©crire lâHistoire et choisi une voie qui surprendra le lecteur, une marche et un systĂšme tout Ă fait Ă moi ⊠en traitant de ce qui est relatif aux civilisations et Ă lâĂ©tablissement des villes ». Il est conscient que sa dĂ©marche novatrice qui rompt avec lâinterprĂ©tation religieuse de lâhistoire Les discours dans lesquels nous allons traiter de cette matiĂšre formeront une science nouvelle ⊠Câest une science sui generis car elle a dâabord un objet spĂ©cial la civilisation et la sociĂ©tĂ© humaine, puis elle traite de plusieurs questions qui servent Ă expliquer successivement les faits qui se rattachent Ă lâessence mĂȘme de la sociĂ©tĂ©. Tel est le caractĂšre de toutes les sciences, tant celles qui sâappuient sur lâautoritĂ© que celles qui sont fondĂ©es sur la raison. » Tout au long de son oeuvre, il souligne la discipline Ă laquelle doivent sâastreindre ceux qui exercent le mĂ©tier dâhistorien lâexamen et la vĂ©rification des faits, lâinvestigation attentive des causes qui les ont produits, la connaissance profonde de la maniĂšre dont les Ă©vĂ©nements se sont passĂ©s et dont ils ont pris naissance. » Les empires durent environ 120 ans » Ibn Khaldoun nâa le loisir dâĂ©tudier que le monde arabo-musulman lâAndalousie, le Maghreb, le Machreq. Câest donc dans ce cadre limitĂ© quâil Ă©labore sa thĂ©orie cyclique des civilisations rurales ou bĂ©douines umran badawi et urbaines umran hadari. Pour lui, les civilisations sont portĂ©es par des tribus qui fondent dynasties et empires. » Les empires ainsi que les hommes ont leur vie propre ⊠Ils grandissent, ils arrivent Ă lâĂąge de maturitĂ©, puis ils commencent Ă dĂ©cliner ⊠En gĂ©nĂ©ral, la durĂ©e de vie [des empires] ⊠ne dĂ©passe pas trois gĂ©nĂ©rations 120 ans environ. » Ibn Khaldoun, conseiller auprĂšs de deux sultans maghrĂ©bins, grand juge cadi au Caire, put observer de lâintĂ©rieur lâĂ©mergence du pouvoir politique et sa confrontation Ă la durĂ©e historique. Ibn Khaldoun est considĂ©rĂ© comme lâun des fondateurs de la sociologie politique. Sources Discours sur lâhistoire universelle Al Muqadimma, par Ibn Khaldoun, traduit de lâarabe par Vincent Monteil Paris/Arles, Sindbad/Actes Sud, 3e Ă©dition, 1997 et Ibn Khaldoun naissance de lâhistoire, passĂ© du tiers monde, par Yves Lacoste Paris, François Maspero, 1978, rééditĂ© chez La DĂ©couverte, 1998. De quelques noms citĂ©s Georges Friedmann 1902-1977, philosophe français, est surtout connu pour ses travaux de sociologue du travail. ConsidĂ©rĂ© comme un des plus importants rĂ©novateurs français des sciences sociales de lâaprĂšs-guerre, il eut recours aux outils dâanalyse marxistes pour observer les grands bouleversements Ă lâoeuvre dans la sociĂ©tĂ© industrielle. Il est lâauteur de nombreux ouvrages dont TraitĂ© de sociologie du travail coauteur avec Pierre Naville, Paris, A. Colin, 1961-1962, Humanisme du travail et humanitĂ©s Paris, A. Colin, 1950, OĂč va le travail humain? Paris, Gallimard, 1970. Le bon vieux temps du Dakar-Djibouti Marcel Griaule 1898-1956, ethnologue français, fut engagĂ© dans de nombreuses recherches de terrain couvrant notamment lâAbyssinie, le Soudan français et le Tchad. Il fut Ă©galement Ă la tĂȘte de la mission ethnographique Dakar-Djibouti 1931-1933 et titulaire en 1942 de la premiĂšre chaire dâethnologie Ă la Sorbonne. Auteur de nombreux ouvrages sur la mĂ©thode ethnographique, il sâest particuliĂšrement intĂ©ressĂ© Ă lâethnie Dogon Mali. Charles Seignobos 1854-1942 historien français, auteur en particulier dâune Histoire politique de lâEurope contemporaine 1897. ConsidĂ©rant que tout ce qui nâest pas prouvĂ© doit rester provisoirement douteux », Seignobos fut partisan dâune histoire superficielle et Ă©vĂ©nementielle. Cette vision positiviste » rencontra de vives contestations auprĂšs dâune nouvelle gĂ©nĂ©ration dâhistoriens pour qui la nĂ©cessitĂ© dâapprofondir les phĂ©nomĂšnes devait permettre une comprĂ©hension plus globale de lâhistoire. Une culture naĂźt au moment oĂč une grande Ăąme se rĂ©veille » Oswald Spengler, 1880-1936, philosophe allemand, est lâauteur du cĂ©lĂšbre DĂ©clin de lâOccident 1916-1920, ouvrage qui eut un Ă©cho Ă la mesure de lâeffondrement de lâempire allemand. Spengler expose dans son ouvrage une philosophie pessimiste de lâhistoire, en opposition Ă lâidĂ©ologie de progrĂšs dominant Ă lâĂ©poque. Selon lui, lâOccident serait entrĂ© dĂšs les dĂ©buts du XXe siĂšcle dans sa phase de dĂ©clin. Au-delĂ , Spengler propose une thĂ©orie gĂ©nĂ©rale et cyclique des huit principales civilisations et des innombrables cultures du monde. Pour lui, il nâexiste pas de sens gĂ©nĂ©ral de lâhistoire juste des successions de cycles similaires au cycle biologique. Pour lui, les unitĂ©s de base de lâhistoire sont les cultures dont il dit quâelles sont de vĂ©ritables organismes vivants Une culture naĂźt au moment oĂč une grande Ăąme se rĂ©veille, se dĂ©tache de lâĂ©tat psychique primaire dâĂ©ternelle enfance humaine, forme issue de lâinforme, limite et caducitĂ© sorties de lâinfini et de la durĂ©e. Elle croĂźt sur le sol dâun paysage exactement dĂ©limitable, auquel elle reste liĂ©e comme la plante. Une culture meurt quand lâĂąme a rĂ©alisĂ© la somme entiĂšre de ses possibilitĂ©s, sous la forme de peuples, de langues, de doctrines religieuses, dâarts, dâĂtats, de sciences, et quâelle retourne ainsi Ă lâĂ©tat psychique primaire. » Le nazisme tenta de rĂ©cupĂ©rer les conceptions philosophiques de Spengler, puis finit par les critiquer. De lâaction civilisatrice des minoritĂ©s crĂ©atrices » Arnold Toynbee 1889-1975, historien britannique, est lâauteur dâune somme monumentale, Study of History Ătude de lâhistoire, publiĂ©e en douze volumes entre 1934 et 1961. DĂ©nombrant 26 civilisations, il dĂ©veloppe une conception cyclique de leur Ă©volution. Pour lui, les civilisations naissent de lâaction de minoritĂ©s crĂ©atrices » et passent toutes par des Ă©tapes de croissance, de rupture breakdown puis de dĂ©sintĂ©gration. Son oeuvre tĂ©moigne dâune vision non-europĂ©ocentrique de lâhistoire. Paul ValĂ©ry 1871-1945, Ă©crivain français proche du poĂšte MallarmĂ©, entrĂ© en 1925 Ă lâAcadĂ©mie française, est lâauteur dâune phrase cĂ©lĂšbre sur le destin des civilisations Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles » VariĂ©tĂ© I, La crise de lâesprit, p. 1. Paris, Gallimard, 1978. Pour une histoire des civilisations Grammaire des civilisations, par Fernand Braudel. Paris, Arthaud, 1987. LâHistoire, un essai dâinterprĂ©tation, par Arnold Toynbee version abrĂ©gĂ©e de A Study of History traduit de lâanglais par Elisabeth Julia. Paris, Gallimard, 1951. Le DĂ©clin de lâOccident, par Oswald Spengler traduit de lâallemand par M. Tazerout. Paris, 2 volumes, Gallimard, 1931-1933. Culture and History, prolegomena to the comparative study of civilizations, par Philip Bagby. Westport, Conn., Greenwood Press, 1976. Grandeur et dĂ©cadence des civilisations, par Shepard Bancroft Clough. Paris, Payot, 1954.
vaguesrĂ©volutionnaires (1917-1922) LâĂ©tude a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e dans la sĂ©ance consacrĂ©e au bilan de la guerre (Des sociĂ©tĂ©s bouleversĂ©es par la guerre). 2/ la problĂ©matique retenue et le plan de la sĂ©ance : « Nous autres, civilisations nous savons maintenant que nous sommes mortelles » Paul ValĂ©ry Ă©voque une crise de lâEurope dâaprĂšs guerre, crise qui nâest pas seulement humaineCette Ă©mission a Ă©tĂ© diffusĂ©e pour la premiĂšre fois le 22 septembre 2020. Pendant plus de trente ans, le photographe franco-tchĂšque Josef Koudelka a sillonnĂ© 200 sites archĂ©ologiques du pourtour mĂ©diterranĂ©en, dont il a tirĂ© des centaines de photographies panoramiques en noir et blanc. La BnF expose un ensemble inĂ©dit de 110 tirages exceptionnels intitulĂ© Ruines », rĂ©vĂ©lant toute la force et la beautĂ© du lexique visuel dâun des derniers grands maĂźtres de la photographie moderne. Projet sans Ă©quivalent dans lâhistoire de la photographie, la sĂ©rie Ruines est le rĂ©sultat dâun travail personnel au cours duquel Josef Koudelka a parcouru dix-neuf pays pour photographier les hauts lieux de la culture grecque et latine, berceaux de notre civilisation. De la France Ă la Syrie, en passant par le Maroc, la Sicile, la GrĂšce ou la Turquie, ce sont 110 immenses photographies panoramiques en noir et blanc, jamais montrĂ©es jusquâici, qui livrent le regard de Koudelka sur la beautĂ© chaotique des ruines, vestiges de monuments transformĂ©s par le temps, la nature, la main de lâhomme et les dĂ©sastres de lâHistoire. Koudelka ne souhaite pas immortaliser les ruines antiques, les figer dans une vision romantique, mais au contraire revenir encore et toujours sur les mĂȘmes lieux pour en enregistrer les Ă©volutions liĂ©es au passage destructeur du temps et des hommes, de la nature qui reprend ses droits. Ces paysages sont une ode aux ruines de la Mare Nostrum et nous interpellent sur la nĂ©cessitĂ© de sauvegarder lâhĂ©ritage de cette civilisation â dont certaines des traces photographiĂ©es par Koudelka ont aujourdâhui disparu, comme Ă Palmyre. Ce qui lâanime, câest la recherche de la beautĂ©, une beautĂ© qui Ă lâinstar de celle des ruines antiques, rĂ©siste. L'entretien analyse de la ruine par l'historien Johann ChapoutotPour mieux comprendre les diffĂ©rents enjeux et significations que contiennent les ruines des civilisations passĂ©es, Marie Sorbier fait appel Ă Johann Chapoutot, professeur d'histoire contemporaine Ă la Sorbonne, et auteur, entre autres, de l'article Comment meurt un empire, oĂč la ruine est analysĂ©e non plus comme ce qui reste d'une Ă©poque, mais comme le manifeste dĂ©libĂ©rĂ© de ce qu'une civilisation veut faire perdurer d'elle-mĂȘme dans les mĂ©moires historiques. La thĂ©orie de la valeur des ruines ThĂ©orie conçue par Albert Speer, premier architecte du TroisiĂšme Reich Ă partir de 1933, son idĂ©e centrale selon laquelle un bĂątiment doit se survivre par ses ruines avait grandement sĂ©duit Hitler. "Ce qui intĂ©ressait Hitler, c'Ă©tait non seulement de crĂ©er un empire romain renouvelĂ© avec le TroisiĂšme Reich, mais aussi une mĂ©moire de l'empire aprĂšs la disparition de celui-ci. Il fallait donc que les ruines du Reich ressemblassent Ă celle de la Rome antique. Le but Ă©tait moins de crĂ©er un Reich effectif que la mythologie du Reich aprĂšs sa disparition. C'est trĂšs intĂ©ressant car cela nous indique toute l'importance de la ruine en Occident et dans la culture occidentale." Johann Chapoutot L'architecture nĂ©oclassique, langue de l'impĂ©rialitĂ© "Quand on veut faire empire, il faut parler la langue de l'impĂ©rialitĂ©. Cette langue, c'est l'architecture nĂ©oclassique, inspirĂ©e de l'architecture grĂ©co-romaine, et c'est aussi la langue des ruines. Le plus grand et prestigieux des empires, l'Empire romain, n'est plus visible et prĂ©sent que par le squelette blanchi de ses ruines." Johann Chapoutot La photographie un nouveau rapport au patrimoine "Prosper MĂ©rimĂ©e disait qu'il y avait plus pĂ©renne que le monument la photographie. La photographie a rĂ©volutionnĂ© notre rapport au patrimoine en permettant d'en fixer la trace, et c'est ce qu'a voulu faire Koudelka. On observe d'ailleurs qu'il est passĂ© du reportage de guerre Ă la photographie des ruines au dĂ©but des annĂ©es 1990, donc prĂ©cisĂ©ment lorsque l'empire qu'il avait lui-mĂȘme connu, le bloc soviĂ©tique, s'est effondrĂ©. Ce monde-lĂ disparaissait, et, en quĂȘte de repĂšres, Koudelka s'est mis en quĂȘte de quelque chose de plus pĂ©renne et solide que ce qu'il avait connu." Johann Chapoutot Quelles seraient les ruines du monde contemporain ?"On constate que certains Ă©difice ont Ă©tĂ© construits pour faire date et pour faire trace. Pour ĂȘtre des monuments de notre civilisation dans une visĂ©e mĂ©morielle tout Ă fait explicite. Mais ce Ă quoi on peut rĂ©ellement penser pour tĂ©moigner de notre civilisation occidentale, ce sont les bĂątiments les plus solides, ceux faits de pierre. Ce sont les Ă©difices du 19Ăšme siĂšcle et de la mutation urbaine qu'incarnait la deuxiĂšme moitiĂ© de ce siĂšcle. C'est une Europe sĂ»re d'elle-mĂȘme et dominatrice, qui prĂ©tendait incarner la civilisation et coloniser le monde, forte de son commerce, de son industrie, de ses armĂ©es et de sa science. Elle prĂ©tendait Ă une domination Ă©ternelle, jusqu'au grand effondrement civilisationnel qu'a reprĂ©sentĂ© la PremiĂšre Guerre Mondiale. Guerre mondiale qu'un autre grand amateur de ruines et de monde mĂ©diterranĂ©en, Paul ValĂ©ry, avait dit "Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles". Johann Chapoutot PaulVALĂRY avril 1919. Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. Cette belle phrase, et si juste, fut inspirĂ©e Ă Paul ValĂ©ry (1871-1945) par les horreurs de la guerre de 1914-1918.